Attirer les pollinisateurs

Penchez-vous au-dessus d’une fleur par une journée ensoleillée d’été et observez. Le ballet incessant des abeilles, le vol stationnaire d’un syrphe, la visite éclair d’un papillon… Ce n’est pas seulement un spectacle, c’est l’assurance de récoltes abondantes dans votre jardin. Sans ces créatures, 80% de nos plantes à fleurs ne pourraient se reproduire, y compris bon nombre de celles qui garnissent nos assiettes.

En Europe, leur déclin s’accélère dangereusement. Dans mon jardin du Nord-Est de la France, j’ai constaté la disparition progressive de certaines espèces autrefois communes, comme le gazé, ce papillon blanc autrefois abondant. Heureusement, en quelques années d’aménagements ciblés, j’ai pu inverser la tendance à mon échelle. Voici comment transformer votre espace en refuge pour ces précieux alliés.

Connaître les principaux pollinisateurs de nos jardins

J’aime comparer les pollinisateurs aux clients d’un restaurant : chacun a ses préférences, ses habitudes, et ses horaires.

L’abeille domestique n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’Europe occidentale abrite plus de 1000 espèces d’abeilles sauvages, majoritairement solitaires. En Wallonie, j’ai observé l’andrène fauve creuser ses galeries dans ma pelouse dès les premiers rayons du printemps, bien avant que les ruches ne s’activent. Dans le Sud-Ouest français, l’anthophore plumeuse butine frénétiquement les lamiers pourpres quand beaucoup d’insectes sont encore en hibernation.

Les papillons forment une brigade plus visible, plus contemplative. Le robert-le-diable se pose longuement sur mes buddleias, ailes dépliées au soleil, tandis que l’aurore ne visite que les cardamines et les alliaires, plantes crucifères indispensables à sa reproduction. En Espagne, lors d’un séjour dans les Asturies, j’ai été frappé par l’abondance du citron de Provence, absent de nos contrées plus septentrionales.

Les bourdons méritent une attention particulière. Contrairement aux idées reçues, ils ne sont pas de simples cousins rustiques de l’abeille domestique, mais des pollinisateurs irremplaçables. Le bourdon terrestre, reconnaissable à sa large bande jaune et son abdomen blanc, pratique le « buzz pollination » – il fait vibrer certaines fleurs pour en libérer le pollen, technique indispensable pour les tomates ou les myrtilles. Un jour de crachin breton, j’ai vu ces travailleurs acharnés butiner alors que tous les autres insectes restaient à l’abri.

D’autres acteurs moins connus jouent pourtant un rôle crucial. Les syrphes, ces mouches déguisées en guêpes, sont d’excellents pollinisateurs et leurs larves dévorent les pucerons. Le bombyle, cette étrange « mouche-bourdon » dotée d’une longue trompe, atteint le nectar au fond des corolles profondes. Même les coléoptères, pourtant maladroits et gourmands, transportent du pollen dans leur fourrure épaisse.

Créer un habitat favorable aux pollinisateurs

Un jardin sans abris est comme une ville sans habitations : personne ne s’y installe durablement.

Les hôtels à insectes vendus dans le commerce sont souvent des gadgets décoratifs peu fonctionnels. Je fabrique les miens avec des matériaux récupérés. Une bûche de chêne fendue puis réassemblée après y avoir percé des trous de diamètres variés (3 à 10 mm) accueille différentes espèces d’osmies et de mégachiles. Dans mon jardin belge, j’ai ajouté un petit toit de protection contre les pluies fréquentes. En deux saisons, quasiment tous les trous étaient bouchés par de la boue séchée ou des fragments de feuilles, signe d’occupation.

Pour les abeilles terricoles, qui représentent 70% des espèces sauvages, j’ai laissé un talus sablonneux partiellement dénudé. En Allemagne, chez un ami permaculteur près de Fribourg, un simple monticule de sable argileux exposé au sud est devenu une véritable colonie d’andrènes.

Les papillons ont besoin d’abris différents selon les saisons. Pour l’hiver, j’ai cessé de nettoyer systématiquement les tas de bois et les feuilles mortes dans les coins tranquilles du jardin. En été, j’ai planté des graminées hautes où ils peuvent se réfugier pendant les orages. Au Portugal, lors d’un chantier participatif près de Porto, nous avons construit des murets de pierre sèche qui servent d’abri thermique aux lépidoptères pendant les journées caniculaires.

L’eau est indispensable, surtout face aux sécheresses de plus en plus fréquentes en Europe occidentale. Ma petite mare de 2m² attire non seulement des libellules, mais sert de point d’abreuvement pour tout le petit peuple ailé. J’ai également disposé quelques soucouplates contenant de l’eau et des galets émergés où les insectes peuvent se poser sans risque de noyade.

Planter pour nourrir les pollinisateurs toute l’année

La faim guette les pollinisateurs à deux périodes critiques : sortie d’hiver et fin d’été. Mon objectif a été de combler ces manques.

Février marque l’éveil des premières abeilles solitaires. Dans mon jardin franc-comtois, les crocus botaniques et les hellébores constituent leur premier festin. Le cornouiller mâle, dont la floraison jaune pâle passe souvent inaperçue, est pourtant un garde-manger précieux en cette saison. Plus au sud, en Aveyron, j’ai vu des amandiers couverts d’abeilles dès la mi-février.

Mars-avril est la période des saules. Le saule marsault, que j’ai laissé pousser au fond du terrain, bourdonne littéralement au printemps. Ses chatons mâles offrent pollen et nectar en abondance aux premiers papillons comme le citron.

Mai-juin correspond au pic de diversité. J’ai planté des vivaces indigènes comme la sauge des prés, l’achillée millefeuille et le géranium sanguin qui fleurissent successivement. En Andalousie, les cistes et lavandes sauvages jouent ce rôle. En Belgique, un ami a créé une prairie fleurie avec des espèces locales – marguerites, centaurées, knauties – qui attirent une diversité stupéfiante de pollinisateurs.

L’été tardif (août-septembre) peut être une période de disette pour les insectes si l’on n’y prend garde. Les échinacées, rudbeckies et sédums prennent alors le relais. En Italie centrale, j’ai observé que l’origan en fleur était littéralement couvert de papillons durant cette période critique.

L’automne ne doit pas être négligé. Le lierre, souvent considéré comme une plante envahissante, est une ressource vitale en octobre-novembre. Dans mon village, un vieux mur couvert de lierre en fleur attire des nuées d’abeilles et de syrphes jusqu’aux premiers gels.

J’ai constaté que certaines plantes sont particulièrement efficaces selon les régions :

  • Dans l’Ouest français et en Belgique : phacélie, vipérine, digitale pourpre
  • En zone méditerranéenne : romarin, thym, sarriette, lavande papillon
  • En Europe continentale : molènes, népétas, verge d’or, eupatoire

Les herbes aromatiques à double usage sont privilégiées dans mon potager. La menthe en fleur attire les syrphes qui régulent les pucerons. La bourrache, que je laisse se ressemer librement, est visitée sans relâche par les abeilles tout en garnissant mes salades de ses fleurs étoilées. Le fenouil, monté en graines, devient un perchoir favori des syrphes en fin d’été.

Pratiques favorables dans la gestion quotidienne du jardin

L’arrêt des pesticides va de soi. Même le purin d’ortie mal préparé peut nuire aux pollinisateurs. J’utilise désormais principalement les associations de plantes et l’accueil de la biodiversité comme moyens de défense.

L’arrosage ciblé devient crucial avec les étés caniculaires. En Dordogne, chez des amis maraîchers, l’installation de swales (fossés d’infiltration) a transformé leur terrain sec en oasis de biodiversité. Les plantes restent fleuries bien plus longtemps, nourrissant ainsi les pollinisateurs jusqu’en automne. Dans mon jardin, plus modeste, le paillage systématique permet de conserver l’humidité et de maintenir la floraison même pendant les canicules.

J’ai modifié radicalement mon calendrier d’entretien. La tonte différenciée laisse des îlots d’herbes hautes où le trèfle et les pissenlits fleurissent. Les tiges creuses des ombellifères restent en place tout l’hiver, servant d’abris aux insectes hibernants. Au Portugal, j’ai vu des jardiniers laisser volontairement quelques cardons et artichauts monter en fleurs – véritables aimants à pollinisateurs au cœur de l’été.

La patience est de mise. Dans mon verger, j’ai cessé de tailler systématiquement les rejets de pruniers. Certains, devenus adultes, fleurissent précocement et nourrissent les premières abeilles de février. En Allemagne, un jardin permaculturel visité près de Munich laisse les arbustes spontanés (cornouiller sanguin, fusain, aubépine) former des haies libres dont la floraison s’échelonne de mars à juin.

Observer et documenter la présence des pollinisateurs

L’observation attentive révèle l’efficacité de nos aménagements. Chaque printemps, je note les premières apparitions des différentes espèces. Au fil des ans, j’ai ainsi constaté l’augmentation des populations de bourdons à longue langue après avoir planté des népétas et des sauges en abondance.

Les signes de pollinisation réussie sont nombreux : fraises bien formées, courgettes qui se développent normalement, graines fertiles sur les fleurs ornementales. L’année dernière, ma production de tomates a doublé après l’installation de plantes attractives pour les bourdons à proximité directe du potager.

La participation aux sciences citoyennes est gratifiante. En France, le programme Spipoll m’a permis d’identifier précisément plusieurs espèces de syrphes que je confondais auparavant. En Grande-Bretagne, un groupe de jardiniers amis participe au Great British Bee Count, créant une émulation positive dans leur communauté.

Un simple carnet et un appareil photo suffisent pour débuter. J’ai pris l’habitude de photographier les insectes visitant mes fleurs. Ces clichés, comparés d’une année sur l’autre, témoignent de l’évolution de mon jardin vers un écosystème plus riche. Un matin de juin dernier, j’ai compté sept espèces différentes de pollinisateurs sur une simple touffe de marjolaine – petite victoire quotidienne qui donne sens à mes efforts.

Attirer les pollinisateurs n’est pas qu’une question de rendement au potager. C’est recréer un maillon essentiel des cycles naturels, c’est participer modestement à la restauration d’un équilibre fragilisé. Et puis, avouons-le, quel plaisir de s’asseoir au jardin et d’observer cette vie foisonnante que l’on a contribué à faire revenir!